Saison 22-23, par Alain Dogimont
L’aide à la production, le soutien des compagnies, dans le respect de leurs choix artistiques, sont au cœur de notre action
Je lis l'édito
Dans cette période traversée par des crises mondiales dramatiques et des élections importantes pour notre pays, les affrontements identitaires, le nationalisme, l’impérialisme, la liberté, le droit de vivre mieux (pouvoir d’achat, santé, éducation...) ont occupé à juste titre le devant de la scène. La culture demeure la grande absente des débats. Et pourtant ! La culture et la connaissance irriguent chacun des thèmes débattus. Elles donnent corps à chaque idée avancée. Elles sont un préalable majeur de notre capacité à affronter notre présent, en permettant une vision de l’Humanité, de la Société que nous souhaitons.
Bien sûr, culture et connaissance peuvent devenir la bonne conscience des despotes, qui n’en retiennent que certains pans pour mieux asservir autrui. L’Histoire moderne montre encore comment on peut engendrer des monstres en travestissant la vérité. La culture se doit d’être universellement accessible dans sa diversité, ses contradictions. Jamais censurée. C’est le sens de notre mission : permettre à notre niveau la Liberté d’expression et l’accès de chacun à la pensée, à l’émotion. L’Égalité dans le droit à l’excellence, c’est le contraire de l’élitisme.
L’aide à la production, le soutien des compagnies, dans le respect de leurs choix artistiques, sont au cœur de notre action. C’est pour cette liberté de penser, de créer, mise en danger par des médias aux mains de milliardaires qui veulent modeler la société selon leurs intérêts, que nous nous battons.
Les artistes sont-ils pour autant porteurs de LA vérité ? Évidemment non ! Ils vivent leur passion créatrice, nous proposent des émotions : du rire aux larmes, de l’admiration à la détestation, de l’assentiment au rejet. Ils sont le foisonnement, le bouillonnement de la vie. Ils donnent à penser, à ressentir. Ils nous engagent à être. Ils nous font découvrir l’essence humaine, ce qui nous rapproche quelle que soit notre couleur de peau, notre religion, notre nationalité : la Fraternité.
Évidemment, la programmation est un choix subjectif, une sélection. C’est toute la noblesse du travail de Géraud Didier, mais cette programmation est soumise au respect de notre mission de service public, au respect des lois de la République. Elle est aussi (et surtout !) tributaire de votre jugement, et il est sans appel. Des salles vides sanctionneraient l’ineptie des choix et nous pourrions être taxés d’élitisme. Jusqu’à présent, vous nous avez témoigné votre satisfaction en répondant massivement présents, et nous en sommes extrêmement fiers.
Je suis certain que vous aurez plaisir à assister aux spectacles que Géraud et l’équipe vous proposent, avec toute l’exigence d’excellence que vous attendez de nous. Que vive la saison 2022-2023, pour votre plus grand bonheur.
Risque-toi aujourd’hui ! par Géraud Didier
Un seul mot d’ordre à tenir en guise de cap : la création
Je lis l'édito
Le « catéchisme » de la culture – cette bonne vieille parole un brin sentencieuse qu’on propose au public d’un côté, qu’on adresse aux artistes de l’autre – n’a jamais été mon affaire. On fantasme au sujet des artistes, toujours... Tantôt les voici imaginés faiseurs de rires et de paillettes, tantôt guérisseurs du corps social malade, parfois encore pédagogues de la vie, éducateurs particuliers de nos émotions et réflexions. Et la culture comme une bonne pâte, malléable à merci, corvéable à merci – trop souvent on la prend, on la malaxe, on l’instrumentalise. Et, ce faisant, on la manipule et la malmène... Ceux qui disent vouloir s’en occuper sont aussi ceux qui, adroitement ou maladroitement, la conditionnent ou la dévoient.
Parce qu’au fond, le drame orthonormé de toute bien-pensance est qu’on veut à l’avance déterminer le sens des choses, sous couvert de réparer les désordres de tous ordres. Éloge politique des figures imposées, au détriment des figures libres. L’usage de la liberté, pourtant, ne peut se concevoir enclavé. Encore moins assigné ou assiégé. Un seul mot d’ordre à tenir en guise de cap : la création – plus on lui fiche la paix au regard des étendards et des slogans, mieux elle se porte. La rencontre esthétique, c’est une expérience majeure à mener comme un voyage, une traversée sensible où le corps et l’esprit se trouvent remis ensemble, pris et engagés pour faire offrande à l’inconnu.
En lieu et place d’édito, ce poème donc, simple et direct, de Martha Medeiros, un temps attribué à tort à Neruda.
Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l’habitude refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d’émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux et réparent les cœurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu’il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n’a fui les conseils sensés.
Vis maintenant !
Risque-toi aujourd’hui !
Agis tout de suite !
Ne te laisse pas mourir lentement !
Ne te prive pas d’être heureux !
Martha Medeiros,
A Morte Devagar, 2000